Le Roi Triste et Son Secret
Lointain sur cette terre, un grand et tentaculaire royaume s'était levé. Il était gouverné par un roi exceptionnel, surnommé le roi triste. La raison de cette désignation était inconnue, mais on disait qu'elle était liée à la mort de sa femme lors de l'accouchement. On disait aussi que son premier et unique enfant n'était pas né en bonne santé, mais qu'il était venu au monde dément, ou peut-être infirme. Néanmoins, cet enfant n'avait pas été présenté au public depuis ce jour. Quand les interprétations divergeaient, les gens du royaume choisissaient de garder le silence, considérant le grand chagrin du roi comme un mystérieux secret royal.
À la Recherche de l'Héritier
Vingt ans après cet incident, l'âme du roi s'éteignit. Ainsi, le royaume fut confié au ministre Aimon, qui ignorait qui serait nommé comme héritier du trône après la mort soudaine du roi. Un jour, alors qu'il réfléchissait en silence, une idée surgit : « Le roi n'avait-il pas un fils ? » Le ministre se leva de sa place et, comme un enragé, se précipita à la recherche de la sage-femme du palais, Hera. Elle était la seule personne qui pouvait lui révéler où se trouvait cet enfant. Il entra chez elle et la trouva en train de broder des œillets sur une magnifique veste en laine. Il sourit sarcastiquement, puis dit : « Je pense que votre échec à sauver la vie de la reine lors de l'accouchement vous a reléguée à la broderie. »
Hera ne releva pas la tête et lui répondit avec assurance : « Et qui a dit qu'elle était morte ? »
Le ministre ignora ses paroles et lui demanda directement de le conduire auprès du fils du roi défunt, afin qu'il puisse s'assurer qu'il était digne du trône.
Hera le regarda d'un air triomphant et déclara : « Revenez demain soir, et je vous conduirai à la résidence de l'héritier du roi, le prince Aram. Soyez certain qu'il vous surpasse en sagesse et en connaissance. »
Le ministre se réjouit de ses paroles. Il quitta la sage-femme, curieux de savoir pourquoi le roi avait caché son fils pendant vingt ans.
Le Prince Caché
Le lendemain, au crépuscule, Aimon se rendit au domicile de Hera. Il la trouva debout sur sa béquille, l'attendant. Elle lui fit signe de la suivre. Elle traversa les halls du palais, jusqu'à atteindre le jardin. Elle pénétra dans l'épaisseur des arbres, jusqu'à ce qu'ils arrivent devant une porte de fer rouillée, enfoncée dans le sol. Aimon était perplexe et étonné, car il ne comprenait pas pourquoi le roi avait isolé son fils sous terre ; quelle faute avait-il donc commise ? Pourquoi tant de cruauté ?
Rempli de soupçons et de curiosité, le ministre continua d'avancer dans un long et étroit couloir sombre. Soudain, Hera s'arrêta devant une lueur vacillante émanant d'une pièce isolée, qui éveilla en Aimon un certain réconfort, mais aussi de nombreuses questions.
Impatient et excité, il entra dans la pièce, désirant voir le prince Aram. Il se retrouva face à une silhouette portant un voile noir, laissant seulement transparaître deux yeux bruns et profonds. Un halètement s'échappa de sa bouche, et Hera éclata de rire. Le ministre n'osa pas demander au prince pourquoi il cachait son visage, de peur de l'offenser. Il se contenta de le saluer avec tout le respect qui lui était dû, puis balbutia :
« Heureux de vous rencontrer, Monsieur Aram, et bien désolé pour la perte du roi. Comme vous le savez, le royaume a absolument besoin de nommer un roi pour le diriger. Le peuple est en plein désarroi, attendant de connaître son nouveau souverain. Donc, si vous avez la bonté d'accepter le trône, cela sera réglé, et nous serons à votre entière disposition… »
Le jeune Aram répondit au ministre d'une voix douce, solide et éloquente :
« Ô ministre, ravi de vous rencontrer. Veuillez fixer un jour pour rencontrer le peuple, je crois qu'il souhaite ardemment connaître son nouveau roi. »
Les paroles du prince, bien que brèves, ajoutèrent à la confusion du ministre. Aimon quitta la salle, plein de questions sur le secret qu'Aram semblait cacher derrière son voile.
Le Mystère du Roi Caché Révélé
Quand le jour de l'intronisation arriva, Aram sortit devant le public vêtu de son voile noir, orné uniquement d'une couronne royale parsemée de pierres précieuses. Un instant, la cour du palais plongea dans un silence étonné : le roi tant attendu cachait son visage. Mais cette bénédiction fut de courte durée, car le peuple, choqué, se mit à crier et à murmurer sa réprobation.
Cependant, dès que le roi Aram commença à parler, la foule se calma et concentra toute son attention sur son discours. Sa sobriété et sa confiance étaient remarquables. Il leur promit que, s'il parvenait à instaurer le bien et la justice dans le royaume, il enlèverait son voile et révélerait le secret de ses vingt ans de réclusion. Dans le cas contraire, il quitterait le trône et laisserait le choix au ministre Aimon. Son discours était si convaincant que la foule en colère se mit à scander : « Vive le roi caché ! Vive le roi caché ! »
Les jours passèrent, et le seul souci d'Aram était d'établir la justice dans le royaume. Il fut attristé par les inégalités flagrantes qu'il constatait. Il vit de ses propres yeux des gens mendier pour survivre, tandis que d'autres jetaient des excédents de nourriture. Cette contradiction lui était insupportable : « Quelle est la valeur du luxe dans lequel je vis, alors qu'une partie de mon peuple a faim ? » pensa Aram.
Pour cette raison, il prit une série de décisions radicales, dont la plus importante fut de vendre de nombreuses propriétés royales, comme des palais et des bijoux, afin de fournir des logements et des emplois aux plus démunis. Sous son règne, le royaume connut une prospérité remarquable. Le peuple était si satisfait que, chaque fois qu'Aram passait en procession, on lui lançait des fleurs.
Le jour promis arriva enfin. Les habitants du royaume, grands et petits, se rassemblèrent sur la place du palais, impatients de voir le visage du roi Aram. Tous les regards étaient fixés sur le balcon du palais. Aram se dévoila enfin, et, derrière le voile, apparut une magnifique jeune femme dans la vingtaine. Aram n'avait jamais été autre chose qu'une femme, qui avait régné avec sagesse et justice sur un royaume où les hommes n'avaient pas su instaurer l'équité. Elle n'était autre qu'Œillette, une femme aussi sublime que profonde.